21 février 2013 - Le blog du Wegweiser
Éternel présent de l'attente...
« La disparition a toujours aimanté mes lectures, mes visions artistiques, ma manière d'être quelquefois par rapport aux autres : disparaître du jour au lendemain, ne plus donner de nouvelles, ne plus s'imposer aux autres, sur un mode volontaire ou non.
[…] La disparition, c'est celle de la lettre "e" de Pérec, celle, beaucoup plus tragique, de la famille de Daniel Mendelsohn et des grands-parents qu'Ivan Jablonka n'a jamais connus. C'est celle du mari de Joyce Carol Oates, Raymond Smith, dont le récit m'a bouleversé. Celle de Philippe, le fils de Camille Laurens, l'un des récits les plus poignants sur la disparition d'un enfant. C'est celle de Marc Beltra, que sa mère a perdu, dans le sud de la Colombie, en 2003, dans des circonstances obscures. […] on ignore ce qui lui est arrivé et, en refermant, le livre de Mathieu Simonet, le mystère n'a fait que s'épaissir autour du trou noir et béant, du manque laissé par sa disparition, autour duquel tourne ce roman : de Marc, on ne sait rien d'autre que ce fait presque durassien, qui aurait donné cette phrase dont elle avait le secret, et qui a plané sur ma lecture.
"De Marc, on ignore presque tout" : et ce sont les accumulations d'années, scandées par la date du 4 janvier, jour de la naissance de Marc, qui donnent à sa mère Françoise, à son oncle Michel, au narrateur Mathieu la certitude, douloureuse, de sa disparition, comme un trou noir. […] Comme le rappelle Mathieu Simonet, les suites de la disparition de Marc sont contemporaines de la prise d'otage de Florence Aubenas et "voilées" par la prise d'otage d'Ingrid Betancourt […] Il rappelle aussi combien ce fut difficile pour la famille de Marc de venir se greffer sur la mobilisation médiatique :
"Il existait une certaine ambiguïté puisque, a priori
, Marc n'était pas otage, même si cette hypothèse n'était pas totalement exclue."
Ce qui est remarquable dans ce livre, c'est d'abord le déploiement de son titre à travers le texte, qui a attiré mon œil sur la table de la librairie. Le fait d'accoler le nom réel de "Marc Beltra" avec le genre "roman autour d'une disparition" m'a intrigué comme tous les livres qui mélangent les genres. La lettre "r" qui court sur la quasi-totalité des mots du titre rappelle combien est rugueuse et rigoureuse la menée de cette histoire par Mathieu Simonet. Sa main accomplit le geste d'écriture, mais il parvient à mêler plusieurs voix, à entremêler plusieurs fils, qui courent tout le long de ce roman. Le narrateur m'a donné l'impression d'être une Norne ou d'une Parque impuissante, bloqué par l'impossibilité de tirer les fils du passé et de l'avenir ; seul demeure un présent de pure conjecture, contemporain de la disparition de Marc Beltra en décembre 2003. Tout part du présent éternel de ce moment de bascule : on sait ce qui s'est passé avant, pas pendant. L'éternel présent de l'attente. Mathieu Simonet fait reposer son écriture par fragments, qu'il superpose les uns aux autres. Chaque fragment, comme dans un poème en prose, est séparé par un blanc, qui parfois m'a donné le vertige : le lien à faire entre deux morceaux de récit permet de faire des associations, des allers et retours dans le texte, dans sa propre vie. C'est ainsi que j'ai pu me révéler combien la disparition constitue un thème fascinant pour moi en littérature, combien de fois j'ai disparu d'existences des autres. L'écriture fragmentaire adoptée par Mathieu Simonet reproduit aussi le caractère épars de l'enquête, les vides du dossier, la lutte pour obtenir un semblant de suivi dans la recherche de Marc.
Ces fils entremêlés mélangent les faits objectifs sur la vie de Marc, à travers ses courriels, la connaissance qu'en ont les membres de sa famille, comme son oncle, les extraits, très poignants pour le lecteur, du journal intime tenu par sa mère Françoise, coauteur du livre, des pans de la vie du narrateur Mathieu, les questions qu'il se pose sur le dossier de cette disparition. […] La coexistence des époques de l'histoire, son avancée donnent à ce livre toute sa force, même dans l'espoir forcené que met sa mère à ne pas vouloir son fils mort, à un tel point que je me dis que Marc n'est pas mort, peut-être parti, disparu volontairement, comme le livre qu'il lisait :
Disparu en Amazonie. Rien ne dit qu'il n'a pas voulu organiser sa propre disparition. C'est donc ce que je me suis mis à penser depuis hier soir que j'ai refermé le livre. C'est pourquoi le geste de Mathieu Simonet de parler de la disparition de Marc atteint une forme d'universalité, en plus de rendre hommage à Marc, de faire en sorte qu'on ne l'oublie pas dix ans après qu'il a disparu.
Mathieu Simonet dit écrire
"une autobiographie collective" : la narration de l'histoire d'individualités est très intéressante de ce point de vue. Au lieu de chercher l'effacement de la personne comme peut le faire Annie Ernaux, […] Mathieu Simonet rapporte l'intime : le sien avec son père, sa mère, son compagnon, celui d'Alexandre, un ancien fonctionnaire du quai des Orfèvres, celui d'Arthur, un ami de Mathieu, celui de Michel, l'oncle de Marc. Le centre de gravitation de toutes ces destinées, c'est Marc et le lecteur, qui vient recoller les morceaux éparpillés de ces destinées. Les hypothèses, comme je l'ai dit, se font dans la tête de chacun : effacé du monde, sans corps pour rendre le deuil possible, les blancs laissés par Mathieu Simonet tendent la lecture de ce livre exigeant à lire […] Chaque hypothèse est explorée avec minutie et attention par l'auteur, permettant de comprendre ce que personne en fin de compte ne saura jamais et ce que chacun peut imaginer : qu'est-ce qu'est devenu Marc Beltra depuis décembre 2003 ? »
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